La crise sanitaire a révélé “un réel défaut de concertation au sein de l’Éducation nationale” (rapport parlementaire)

“Si la crise sanitaire et le confinement ont eu une seule vertu, c’est bien de démontrer l’importance de l’école aux yeux de tous”, estime Marie-George Buffet, dans son rapport publié le 16 décembre au terme des travaux de la commission d’enquête pour mesurer et prévenir les effets du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse. Parmi ses 80 recommandations, la députée suggère notamment d'”adapter et alléger les programmes” au regard “des retards d’apprentissage liés à la crise sanitaire”, d’augmenter les temps de concertation “à tous les niveaux de l’institution scolaire”.


La commission d’enquête sur l’impact du covid-19 sur la jeunesse formule plusieurs recommandations concernant l’éducation – Unsplash

“L’école a repris toute sa place”, estime la députée Marie-George Buffet (GDR, Seine-Saint-Denis), interrogée le 16 décembre sur Europe 1 à l’occasion de la remise de son rapport rédigé au nom de la commission d’enquête “pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse”, installée par l’Assemblée nationale début septembre.

La séparation avec l’école a montré aux élèves “d’un seul coup qu’il leur manquait quelque chose”, rapporte-t-elle des auditions conduites depuis la rentrée scolaire. Au-delà d’être un lieu d’apprentissage, c’est également la possibilité de rencontres sociales avec d’autres jeunes, des adultes, c’est la possibilité de sortir de chez soi… “La place de l’école a montré toute son importance”, constate la rapporteure de la commission.

Dans son rapport de plus de 260 pages, la députée relève d’autres points “positifs” apparus au cours du confinement : des initiatives entre parents et enseignants mais aussi entre enseignants et pédiatres libéraux… Ces coopérations qui l’amènent notamment à recommander une ouverture plus large de “l’Éducation nationale aux autres acteurs travaillant avec les enfants et les jeunes, notamment aux acteurs médico-sociaux, aux associations de prévention des violences et aux associations caritatives”.

Ce rapport, qui s’intéresse à la situation des enfants suivis en PMI à celle des jeunes étudiants dans le supérieur, se penche sur plusieurs aspects liés à l’éducation. “L’Éducation nationale et les universités ont été et sont des institutions essentielles dans la prise en charge des jeunes dans les circonstances exceptionnelles créées par la crise sanitaire”, estime ainsi Marie-George Buffet.

UN “VÉRITABLE PLAN D’INVESTISSEMENT” FACE AUX DIFFICULTÉS TECHNOLOGIQUES

Il ressort des auditions menées par les députés des “difficultés à assurer la continuité pédagogique pendant le confinement”. Et les mesures prises “ont révélé des difficultés technologiques au sein de l’Éducation nationale” : si “la bonne volonté du ministère […] n’est pas à remettre en cause, le sous-investissement technologique est apparu en pleine lumière […] et appelle à un véritable plan d’investissement”.

Par ailleurs, la période du confinement “a été un puissant facteur d’aggravation des inégalités scolaires”. De manière générale, il ressort des évaluations nationales des “résultats, en baisse par rapport à 2019” démontrant “très logiquement que, malgré les efforts de tous, les apprentissages des élèves – et plus particulièrement les plus fragiles d’entre eux – ont été affectés” par les effets de la crise sanitaire.

ORGANISER DE LA CONCERTATION AUX DIFFÉRENTS NIVEAUX DE L’INSTITUTION SCOLAIRE

En outre, la rapporteure a identifié, lors des auditions de la commission, “un réel défaut de concertation au sein de l’Éducation nationale pendant la crise sanitaire”. “Seule la concertation et l’écoute sont capables d’apaiser les tensions et peuvent permettre de dégager des solutions innovantes et adaptées aux circonstances particulières de chaque bassin de vie”, estime l’élue. Selon elle, un temps d’échange et de concertation à la rentrée de septembre 2020 “aurait été précieux pour permettre un partage d’expérience sur le confinement et le déconfinement, en tirer les enseignements et mieux préparer la rentrée”.

Le rapport préconise notamment de :

  • créer un observatoire national du décrochage scolaire auprès du ministre chargé de l’Éducation nationale,
  • adapter et alléger les programmes pour tenir compte des retards d’apprentissage liés à la crise sanitaire, notamment pour les classes à examen,
  • augmenter les temps de concertation à tous les niveaux de l’institution scolaire – établissements, Dasen, rectorats — afin de dégager des modus operandi adaptés et acceptés par tous,
  • renforcer le rôle des ressources humaines au sein de l’Éducation nationale afin d’améliorer la prise en compte de la parole de la communauté éducative,
  • mettre en œuvre les propositions des États généraux du numérique et intégrer un volet concernant les parents d’élèves,
  • mettre en place un plan permettant d’identifier les élèves ayant besoin d’équipements informatiques et faciliter la mise à disposition de ces équipements par les établissements scolaires,
  • favoriser une sensibilisation des jeunes et des familles à un usage raisonné des outils numériques et d’internet,
  • renforcer les programmes et outils de l’Éducation nationale ayant pour objectifs le développement des compétences numériques, l’éducation aux médias et à l’information pour un usage raisonnable du numérique,
  • sensibiliser les jeunes et les familles aux manifestations et aux risques des cyberharcèlements et des cyberviolences sur internet,
  • développer l’accompagnement des familles en favorisant les synergies entre les parents et les acteurs de l’école, notamment les psychologues scolaires, et pérenniser le soutien scolaire mis en place à la rentrée 2020.

UN INVESTISSEMENT “NÉCESSAIRE” DANS LA SANTÉ SCOLAIRE

Partant du principe selon lequel les établissements scolaires “ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre les inégalités de santé ainsi que dans l’acquisition d’une culture sanitaire” notamment, la commission pointe la nécessité d’investir dans la santé à l’école. Et ce d’autant plus que la médecine scolaire “en déshérence […] n’est pas en mesure d’accomplir les missions qui lui sont attribuées” indépendamment de la crise sanitaire actuelle, rappelle la commission. Celle-ci plaide pour “un renforcement, sinon [une] refondation de la santé scolaire”.

Dans ce contexte, la rapporteure recommande notamment :

  • renforcer l’attractivité des professions de santé scolaire, en revalorisant les rémunérations et les carrières pour les médecins, infirmiers, assistants sociaux et psychologues scolaires, et augmenter le nombre de postes ouverts,
  • engager une concertation parmi les personnels de la santé scolaire, pour parvenir à une meilleure définition de leurs missions respectives, une coordination de leurs interventions et la mise en place d’équipes pluridisciplinaires,
  • nommer des psychologues de l’Éducation nationale comme conseillers techniques des Dasen, afin de prendre plus systématiquement en compte la dimension psychologique des difficultés au sein de l’école.

Le rapport consacre également plusieurs développements aux élèves en situation de handicap. Il en ressort les recommandations suivantes :

  • évaluer précisément les besoins en masques inclusifs et développer leur utilisation auprès […] des enfants en phase d’apprentissage du langage et de la lecture et des jeunes en situation de handicap,
  • envisager l’organisation d’une fourniture durable de masques inclusifs par l’État et les collectivités territoriales,
  • évaluer les conséquences du 1er confinement sur l’état des jeunes en situation de handicap ainsi que l’efficacité de leur prise en charge au sein des institutions et de l’Éducation nationale.

Le rapport propose aussi de :

  • engager une réflexion sur l’adaptation des rythmes scolaires pour les jeunes adolescents,
  • pérenniser les crédits aux dispositifs de soutien scolaire pendant les vacances,
  • augmenter le nombre de médiateurs scolaires déployés auprès des familles en bidonvilles,
  • soutenir les initiatives d’accompagnement scolaire déployées sur le terrain,
  • ouvrir le recrutement des listes complémentaires des concours d’enseignants,
  • renforcer les conseils de vie lycéenne et les élargir en en faisant de véritables acteurs des décisions les concernant,
  • instaurer des temps de débats réguliers pour les enfants et les adolescents dans les établissements scolaires,
  • insérer dans les carnets de correspondance des élèves une mention des dispositifs susceptibles de recueillir les signalements de violences intrafamiliales, tels le 119,
  • diffuser largement sur tous les supports audiovisuels et numériques des recommandations simples sur la manière de parler de la crise sanitaire aux enfants,
  • formaliser la liste des “personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire et à la continuité de la vie de la Nation” dont les métiers et fonctions peuvent justifier l’accueil de leurs enfants au sein des établissements scolaires et des structures de garde, en veillant à y inclure les personnels de l’aide sociale à l’enfance.
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