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Le Conseil d’État précise les conditions et la procédure de licenciement des enseignants titulaires

Le Conseil d’État, dans une décision du 9 octobre 2020 (n° 429563), rappelle les conditions du licenciement pour insuffisance professionnelle des enseignants et précise des points de procédure. Antony Taillefait, professeur de droit public et directeur à l’université d’Angers du master 2 en formation continue “Management et droit des organisations scolaires (M@DOS)”, présente le raisonnement des juges de la Haute juridiction administrative.

Les faits. Mme A.B. a été enseignante contractuelle à compter de 1995, puis titularisée dans le grade de professeure certifiée d’histoire et de géographie en 2002. Elle demande aux juges administratifs d’annuler l’arrêté de 2016 au moyen duquel le ministre de l’Éducation nationale l’a licenciée pour insuffisance professionnelle et d’établir qu’elle est victime de harcèlement moral.
La Cour administrative d’appel de Paris (6 février 2019, req. n° 17PA03866) avait rejeté sa requête confirmant le jugement en première instance du tribunal administratif de la Polynésie française. Elle demande au Conseil d’État l’annulation de cet arrêt et de faire droit à ses conclusions.

Les sources du droit applicable. En vertu de l’article 70 de la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État et constituant le titre II du statut général de la fonction publique, le licenciement pour insuffisance professionnelle d’un fonctionnaire – l’insuffisance n’étant pas une faute disciplinaire – est soumis à la procédure applicable en matière disciplinaire afin de sauvegarder les droits de la défense de l’intéressé et d’organiser les échanges contradictoires avec l’administration scolaire. Cette procédure est réglée par les dispositions du décret n° 84-961 du 25 octobre 1984.
Afin de mieux saisir l’apport de la décision juridictionnelle du 9 octobre 2020, il est intéressant de commencer par évoquer les conditions de la légalité interne du licenciement pour insuffisance professionnelle en cause.

La légalité interne du licenciement. La décision du Conseil d’État montre assez précisément les éléments à réunir par l’administration scolaire pour procéder au licenciement pour insuffisance professionnelle d’un enseignant ou d’une enseignante titulaire ayant 20 ans d’expérience.
De jurisprudence constante, le licenciement pour insuffisance professionnelle d’un fonctionnaire ne peut être fondé que sur des éléments révélant l’inaptitude de l’agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé ou correspondant à son grade. Cela signifie que les comportements mettant au jour des fautes disciplinaires ne peuvent pas, en principe, être retenus. Cela signifie aussi que ce licenciement ne peut pas être fondé sur une carence ponctuelle dans l’exercice des fonctions. Toutefois, une telle mesure ne peut pas non plus être subordonnée à ce que l’insuffisance professionnelle ait été constatée à plusieurs reprises au cours de la carrière ni qu’elle ait persisté après que l’agent public ait été invité à remédier aux insuffisances constatées.
En empruntant ce cheminement, les juges du fond observent que :

  • la titularisation en 2002 avait été fondée “sur le pari de progrès futurs qui lui permettront d’affiner ses compétences” à la suite d’un rapport d’inspection mettant en évidence des faiblesses d’ordre scientifique et didactique et de maîtrise de la langue française ;
  • un rapport d’inspection de 2013 faisait état des mêmes difficultés “qui semblent même s’être accentuées” et demandant la mise en place d’un tutorat ;
  • après une mutation d’office dans l’intérêt du service et un accompagnement personnalisé dans le cadre d’un contrat de formation et de tutorat pendant l’année scolaire 2013-2014, 11 rapports du tuteur sont rédigés en termes encourageants et constructifs mais montrant l’existence d’une seule acquisition sur 10 rubriques de compétences à acquérir ;
  • un second bilan est effectué au mitan de l’année 2014 ne correspondant toujours pas aux attentes professionnelles ;
  • un dernier rapport réalisé par un inspecteur général en 2015 confirme que l’enseignante “n’a pas tiré profit de l’année exceptionnelle de formation complémentaire dont elle a bénéficié”.

Tant les juges du fond que les juges de la cassation vont donc retenir que l’insuffisance professionnelle est avérée. Ils vont écarter les arguments de l’intéressée laquelle soutenait qu’elle n’avait rencontré aucune difficulté professionnelle entre 1995 et 2013 et que sa note pédagogique avait été augmentée de 6 points après 2006.
Enfin, les éléments allégués pour commencer à démontrer l’existence d’un harcèlement moral de la part du chef d’établissement depuis 2013 n’ont pas paru suffisants aux juges administratifs. En effet, le Conseil d’État admet que les allégations de l’enseignante relatives à l’hostilité notoire du principal du collège et à sa volonté de la placer dans une situation professionnelle difficile n’étaient pas de nature à faire présumer le harcèlement moral, prohibé par les dispositions l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant titre I du statut général de la fonction publique.
Il faut rappeler que, lorsqu’une mesure de l’administration est contestée devant lui par un agent public au motif qu’elle serait constitutive d’un procédé de harcèlement, il incombe d’abord au juge administratif d’apprécier si l’agent a subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral ; à ce titre le juge participe à la démonstration de la preuve. S’il estime que tel est le cas, il lui appartient, dans un second temps, d’apprécier si l’administration justifie n’avoir pu prendre, pour préserver l’intérêt du service ou celui de l’agent, aucune autre mesure, notamment à l’égard des auteurs du harcèlement moral.

La légalité externe du licenciement. C’est sur cette dimension de l’affaire que la décision apporte des précisions utiles. La combinaison des dispositions du titre II du statut général de la fonction publique et du décret du 25 octobre organise la procédure suivante.
Le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l’assistance de défenseurs de son choix. L’administration doit l’informer de son droit à communication du dossier.
La commission administrative paritaire siégeant en formation disciplinaire est saisie par un rapport émanant de l’autorité ayant pouvoir disciplinaire. Ce rapport doit indiquer clairement les faits reprochés au fonctionnaire et préciser les circonstances dans lesquelles ils se sont produits. Le fonctionnaire poursuivi peut présenter devant le conseil de discipline des observations écrites ou orales, citer des témoins et se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix.
Lorsque le conseil de discipline examine l’affaire au fond, son président porte, en début de séance, à la connaissance des membres du conseil les conditions dans lesquelles le fonctionnaire poursuivi et, le cas échéant, son ou ses défenseurs ont exercé leur droit à recevoir communication intégrale du dossier individuel et des documents annexes. Le rapport établi par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire à cet effet et les observations écrites éventuellement présentées par le fonctionnaire sont lus en séance. Le conseil de discipline, au vu des observations écrites produites devant lui et compte tenu, le cas échéant, des déclarations orales de l’intéressé et des témoins ainsi que des éléments de l’enquête à laquelle il a pu être procédé, émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée.
Les juges administratifs précisent deux points importants :

  • D’une part, aucune disposition ne prévoit que le fonctionnaire poursuivi reçoive communication, avant la séance du conseil de discipline, du rapport de l’autorité qui a saisi l’instance disciplinaire.
  • D’autre part, ce rapport introductif de l’instance disciplinaire ne doit apporter aucun élément qui ne soit auparavant connu de l’agent poursuivi. En l’espèce, la convocation au conseil de discipline comportait une synthèse de certains rapports d’inspection, rapports que l’intéressée avait cosignés en son temps ; rapports figurant dans son dossier administratif personnel auquel elle avait eu accès. Le rapport introductif d’instance, lu au début de la réunion du conseil de discipline, se bornait à reprendre, en les résumant, les griefs contenus dans les rapports d’inspection qu’elle avait cosignés et qui avaient été transmis à son défenseur.

Le Conseil d’État considère de la sorte que la CAA de Paris a pu juger à bon droit que le licenciement n’était pas intervenu en méconnaissance des droits de la défense.

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